Winterthur – Schaffhouse, codetta lumineuse

Il faut savoir s’arrêter quelquefois.

D’où cette petite codetta [1] que les musiciens reconnaissent avant une double barre.

Mozart, KV. 545 – Codetta à la fin de l’exposition

L’étape prolongée de Winterthur a été une excellente idée, non seulement parce que la ville est le paradis pour les cyclistes, mais aussi parce que j’ai pu y retrouver mes parents, rentre visite à des amis, faire des rencontres, loger dans un super hostel, découvrir la campagne environnante, visiter nombre de musées, même chanter !

Pour contrer l’inquiétude, la morosité et le vert-de-gris de cette époque, j’ai envie de mettre Winterthur sous le signe de l’énergie colorée et de la vitalité. A l’image de la stèle Mozart, située dans le Sulser Areal, tout a été couleur dans ce séjour.

Entre le Requiem de Fauré et une création de Valentin Villard, j’avais rencontré Verena Keller lors d’un week-end Europa Cantat en janvier 20202 à Lausanne et lui avais promis de passer la voir durant mon voyage. Elle m’a reçue à Illnau dans sa maison boisée et garnie de fleurs, m’a emmenée dans la campagne et a cuisiné un curry de légumes aux saveurs enchantées.

Incroyable concordance de dates, elle chantait ce dimanche-là avec le Singfrauen Winterthur dans le concert Mediterranea, un répertoire coloré emmené par le trio Andhira. Réunies sous la direction souple et généreuse de Franziska Welti, ces voix de femmes mêlées aux polyphonies sardes ont fait vibrer une salle archi-pleine : litanies à la Vierge, mélodies populaires, airs mélancoliques, improvisations et bourdon sur un harmonium indien. La soirée s’est prolongée en compagnie des chanteuses, femmes de tous âges réunies par une même passion du chant, et des musiciens, Luca et Elena Nulchis et la soprano Elisa Zedda. La pizzeria a résonné des chants tard dans la nuit.

Je logeais au Depôt 195, un hostel cool et très couru où se mélangent les parcours et les âges ; l’occasion de rencontrer un couple d’Allemands venus voir leur fille, mais aussi des voyageurs, des travailleurs, des étudiants et sans doute des situations de vie plus compliquées. II y a dans ce quartier un air de Berlin.

Urbaine, dynamique, Winterthur est de loin la grande gagnante au Palmarès des villes suisses les plus cyclables. Elle est d’ailleurs membre fondateur des « Cities for Cyclists », avec ses tunnels à vélo et 175 km de pistes cyclables sécurisées, balisées et à l’écart de la circulation. On trouve, du côté de la gare, d’innombrables magasins de vélos et des parkings à l’infini, mais aussi des boutiques bio et outdoor. La vieille ville, uniquement piétonne, regorge de petits cafés, magasins et boutiques en tout genre. Bref, une ville mega cool qui plaira à tous et qui offre un vie culturelle intense.

Grâce au mécène Oskar Reinhart, Winterthur possède plusieurs musées d’art. Au Kunst Museum, Monica Bonvicini présentait Hurricanes and Other Catastrophes : grands formats noirs et blancs pour dire la fragilité de notre monde et l’instabilité qui nous habite.

Pour pallier ce choc frontal, j’ai heureusement trouvé un peu de douceur juste à côté, dans l’exposition sur les chats au Naturmuseum.

De l’autre côté de la rue, le Musée d’art, dit Reinhart am Stadtgarten, rassemble la collection privée du mécène, qui va de l’Âge d’or hollandais aux préromantiques, en exposant également de nombreux de paysages de peintres suisses, allemands et autrichiens.

Le Gewerbemuseum, musée d’art et de design dont j’ai visité longuement le Café, exposait des livres d’images, quelques instants de rêverie et de nostalgie.

Enfin, pôle de la Fondation Suisse pour la photographie, le Musée de la Photographie présentait quinze regards sur la famille, celle qui nous tient et celle qu’on se choisit, avec des images fortes, des provocations, des souffrances, des traditions aussi, pour dire la complexité des rapports fraternels et intergénérationnels.

Et, dans cette idée de mélange des âges, j’ai vécu une après-midi totalement improbable, mais en réalité pas si étonnante dans ce chemin musical, grâce à ma rencontre dans la rue avec Sybille Kurtz. Une petite heure de vélo dans la Tösstal pour rejoindre l’EMS de RämisMühle et aller chanter avec des personnes âgées en résidence.

Pour ce moment de partage autour de la chanson populaire, il fallait évidemment entonner Là-haut sur la Montagne, Colchiques dans les prés et Le Vigneron que les anciens avaient parfois déjà entendus. Alternant français et tüsch, piano et ukulélé, chansons et discussions, nous avons organisé l’après-midi en toute décontraction. Avec son énergie positive et rieuse, Sybille utilise la musique pour permettre aux pensionnaires de se situer dans le temps, dans la saison, de se remémorer le passé et les mots. Preuve que la musique est un lien essentiel pour nos vies. Occasion pour moi d’enrichir mon suisse-allemand et immense plaisir de chanter.

Ultime parcours de ce voyage en Suisse, j’ai repris la route entre Marthalen et Schaffhouse pour tracer le dernier tronçon, dire au revoir à mes parents et prolonger jusqu’à Feuerthalen.

Schaffhouse et son cœur de façades peintes, le Munot qui domine la ville et le musée Allerheiligen dont je n’ai visité que les parties en libre accès : la cathédrale qui résonnait au son du saxophone – Earth Song de Michael Jackson, sans doute en vue d’un mariage – , le magnifique jardin d’herbes aromatiques et le cloître qui est le plus grand de Suisse.

J’ai passé cette dernière soirée en Suisse chez la famille Bollinger dont nous avions hébergé la deuxième fille durant une année. Une maison claire, décorée avec goût dans un jardin paradisiaque. Plaisir de retrouver Sandra, Roman, Gina et Gian après quelques années et de se raconter nos vies.

Durant un mois, j’ai tissé le fil des kilomètres, enchaînant les visites, les rencontres et les découvertes, au fil de la musique. Aujourd’hui, la Route Mozart à Vélo existe et il n’y a plus qu’à la parcourir ! 460 km de bonheur.

DA CAPO : bref retour à Lausanne pour changer mes vêtements avant de partir définitivement pour Vienne. Le temps de revoir la Stèle Mozart de Lausanne, située dans le bâtiment de la Haute École de Musique où j’ai étudié. Et ma fille qui étudie aussi !


[1] Petite coda, à la fin d’une partie de morceau, avant le développement dans une forme sonate, par exemple.

1 thought on “Winterthur – Schaffhouse, codetta lumineuse

  1. Mais c’est génial ce projet! Merci pour ton récit qui fait du bien et nous fait découvrir notre Suisse. Tout le meilleur pour les mois qui viennent et des becs! Céline (SVMM)

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