Lausanne Ouchy-Prangins au fil de la Musique

Pour cette journée de balade à vélo, je vous emmène sur la Route de Mozart entre Lausanne et Prangins.

Remontons le temps pour imaginer une berline usée et chargée, cahotant sur les rives du Léman. A l’intérieur, une famille de voyageurs émerveillés découvre le paysage : levant les yeux de temps en temps, Léopold Mozart, le père écrit son journal d’une plume acérée ; la mère reprise des vêtements de concert, au cas où ils serviraient bientôt ; une jeune fille, musicienne et rêveuse, fredonne dans sa tête et le petit, toujours agité de mille idées, fait jongler les notes sur un clavicorde de voyage. Depuis trois ans, les Mozart ont parcouru l’Europe d’est en ouest, et de nord au sud. 3000 kilomètres déjà ! Ils ont leurs habitudes dans cet espace minuscule.

L’arrivée en Romandie leur offrira des belles rencontres et restera dans l’histoire musicale de notre région, comme en attestent une lettre de Léopold et un article de douze pages qui fera l’éloge du petit génie musicien âgé de 10 ans.

Monsieur,
Si mon souvenir est exact, ma dernière lettre était datée de Lyon.

Nous avons quitté cette ville après un séjour de quatre semaines pour nous rendre à Genève. Bien que nous nous y soyons trouvés en pleine guerre civile, nous y sommes restes trois semaines. Après avoir visité quelques curiosités et fait connaissance avec des personnes connues pour leur habileté et leurs talents particuliers, nous avons poursuivi notre voyage du côté de Berne. Vous savez peut-être que le célèbre Voltaire habite tout près de Genève dans son château de Ferney. Si l’on veut se rendre à Berne, on doit passer par Lausanne. Nous ne pensions nous arrêter dans cette ville que pour midi. Mais au moment où nous descendîmes de voiture, les domestiques du prince Louis de Wurtemberg, de Madame d’Aubonne, de Madame d’Hermenches, de Mr. De Severy, etc., vinrent à nous, et je ne pus faire autrement que de me laisser convaincre par ces personnes distinguées de m’arrêter cinq jours à Lausanne. Quant à vous décrire l’homme qu’est Son Altesse le prince Louis, je me réserve de vous en faire part de vive voix. Je vous dirai simplement que le Wurtemberg aurait lieu de s’estimer heureux s’il pouvait être gouverné par ce digne seigneur. […] De Lausanne, nous partîmes pour Berne, et ensuite pour Zurich. […]

Lettre de Lépold Mozart à son ami Hagenauer, datée du 10 novembre 1766 à Munich

A cette époque, les familles nobles de Lausanne accueillaient les artistes de passage et organisaient des concerts strictement réservés à quelques invités. Citons les soirées de musique offertes par le prince de Wurtemberg, la comtesse Golowkin, le marquis de Langallerie, Madame d’Aubonne, Madame de Saint-Cierges, Madame d’Hermenches. Une émulation intense régnait entre les principaux salons lausannois : c’était à qui réussirait à engager les virtuoses qui se présentaient en ville.

Salon de Mézery, vers 1760
Salon de Mézery, vers 1760

Dans l’Aristide ou le citoyen, l’hebdomadaire de la Société morale fondée par le Prince de Wurtenberg à Lausanne, le docteur Samuel-Auguste Tissot, connu pour d’autres écrits que je ne citerai pas ici, recherche ce qui fait « le sceau du génie » : «La sensibilité et la justesse de l’oreille sont si grandes chez le jeune Mozard (sic) que des sons faux, aigres, ou trop forts font couler ses larmes. Son imagination est aussi musicale que son oreille, elle a toujours présenté une multitude de tons à la fois ; un seul ton donné rappelle dans le même instant tous ceux qui peuvent former une suite mélodieuse, une symphonie complète.»

Et c’est cette plaque, située à la Place de la Palud, qui est à l’origine de mon voyage à vélo sur la route de Mozart en Suisse, puis jusqu’à Vienne.

Bordé par 25 stèles, l’itinéraire suisse de Mozart traverse le Plateau de Genève à Schaffhouse et la stèle lausannoise se trouve, comme il se doit, à la Haute école de Musique.

Depuis Ouchy, notre parcours suivra l’itinéraire cyclable 1 pour changer d’époque et voyager au rythme de la calèche de Mozart pour relier les stèles de Morges puis de Prangins où nous attend le magnifique château du XVIIIe, devenu aujourd’hui Musée National Suisse.

Petit pont sur la Venoge pour sauter dans le temps et nous rappeler – découvrir peut-être – ce poème de Jean-Villard Gilles (1895-1982), poète et chansonnier bien connu des anciens et ancré dans la culture populaire romande.

On a un bien joli canton :
des veaux, des vaches, des moutons,
du chamois, du brochet, du cygne ;
des lacs, des vergers, des forêts,
même un glacier, aux Diablerets ;
du tabac, du blé, de la vigne,
mais jaloux, un bon Genevois
m’a dit, d’un petit air narquois :
– Permettez qu’on vous interroge :
Où sont vos fleuves, franchement ?
Il oubliait tout simplement
la Venoge !

Gilles, La venoge (1954)

Encore un détour dans le temps pour circuler sur le quai Stravinski, en hommage au compositeur qui séjourna à Morges de 1915 à 1920. C’est d’ailleurs en Suisse qu’il composa de larges parties du Sacre du Printemps (1913) et L’Histoire du soldat (1918), sur un livret de C.-F. Ramuz.

Entre Denges et Denezy, un soldat rentre chez lui. Quinze jours de congé qu’il a, marche depuis longtemps déjà. A marché, a beaucoup marché. S’impatiente d’arriver parce qu’il a beaucoup marché.

L’Histoire du Soldat, Ramuz et Stravinsky (1918)

Après l’étape Morges, nous poursuivrons en direction de St-Prex, Buchillon, Allaman puis Rolle.

De Rolle à Gland, nous longerons le campus du Rosey, internat de réputation internationale qui s’est octroyé l’une des plus belles salles de concert de Suisse romande, le Rosey concert hall.

Fin du parcours à Prangins où la stèle Mozart se trouve port des Abériaux.

L’exposition « Noblesse oblige! La vie de château au 18e siècle » met en perspective la vie sociale, culturelle et économique de l’époque.

En 1766, le catalogue de Wolfgang Amadeus Mozart compte déjà seize sonates, quatre symphonies et soixante morceaux divers. A propos du jeune musicien, Wurtemberg écrit : «Le désir de composer le tient si vivement qu’il lui arrive, en pleine nuit, de quitter sa couche afin d’essayer au clavier, dans l’obscurité, telle mélodie qui l’occupe.»

Terminons la randonnée en musique avec la sonate KV. 28 pour violon et clavier, pièce composée en février 1766 à La Haye.

C’est d’ailleurs en octobre 1766, lors de son passage à Zürich que Mozart écrivit la pièce KV 33b qui apparaît dans cette scène fameuse du film Amadeus.

En voici la partition de sa main, sur un cahier d’écolier, lui qui n’a connu que l’école des voyages.