Article « Suivre la Route Mozart à vélo – De Donaueschingen à Augsburg »
Article paru dans le Postille N°7 d’automne 2023 édité par l’association Schweizer Mozartweg
Septembre 1766, le jeune Mozart traverse la Suisse avec sa famille, donnant des concerts à Genève, à Lausanne, à Berne, à Zurich, puis à Schaffhouse. La route se poursuivra vers Donaueschingen aux sources du Danube, puis vers Ulm, en direction de Munich, avant de retrouver la patrie salzburgeoise, après un voyage de trois ans et demi.
Le périple à vélo que j’ai entrepris en automne 2022 a suivi exactement cet itinéraire. Vous avez pu lire mes impressions en Suisse dans le Postille n°6. Dans ce numéro, je vais vous présenter les étapes hors de Suisse qui ont marqué ce voyage sur les traces de Mozart.
Aux sources du Danube, la nature est généreuse. Champs à perte de vue, forêts et calmes bourgs. A Donaueschingen, les Mozart retrouveront leur serviteur Sebastian Winter qui les avait accompagnés dans leur tournée européenne jusqu’à Calais. Il avait ensuite accepté un emploi à la cour du prince de Fürstenberg. Le revoir deux ans plus tard a dû être une joie pour Wolfgang et sa famille, ce d’autant que Joseph Wenzel, prince de Fürstenberg de 1762 à 1783, lui-même excellent violoncelliste, était un grand amateur de musique. Les Mozart passèrent deux semaines dans son palais. Contrairement à mon parcours en Suisse jalonné de visages connus et de rencontres, favorisée par le réseau de Christina Kunz, Donaueschingen marquait le début d’un voyage en solitaire et presque sans contacts préétablis. Pourtant, je n’étais pas encore seule : mon mari Étienne m’a accompagnée durant cette dernière semaine de septembre de Donaueschingen jusqu’à Ulm, par un temps pluvieux. Nous serons Arlequin et Colombine, revêtus de couches colorées pour ne pas avoir froid.
Rien à voir entre ce Danube, rivière sauvageonne, fluette, qui joue à cache-cache avec celui que nous suivrons, fleuve large et apaisé, de Linz à Vienne. Paysages de tableaux préromantiques, tracé sinueux de la rivière qui a creusé les roches tourmentées, forteresses en haut des falaises. Plus loin, ce seront des champs à perte de vue. Dans ce paysage plat, les clochers sont nos repères ; pas étonnant que les pèlerins s’y raccrochent.
Peu avant Ulm, le bleu incroyable du Blautopf semble totalement incongru dans la grisaille. Pas de traces du génial compositeur à Ulm, mais c’est Gundrun Sinclair, musicienne et pétillante retraitée, qui sera notre guide pour nous faire visiter l’École de musique de la ville d’Ulm où elle a enseigné la clarinette durant de longues années. Une piscine réaménagée pour accueillir des cours individuels, des chœurs d’enfants réputés, des orchestres et des concerts. Ulm balance inexorablement entre modernité et histoire.
A partir de ce moment, je serai seule sur la route, suivant mon intuition. Organiser un voyage comme celui-ci ressemble beaucoup à l’organisation d’un projet artistique ou d’un concert. Il s’agit d’utiliser cette intelligence émotionnelle assez typique des musiciens: écouter et percevoir, mais aussi gérer le temps, gérer le projet, en anticipant le programme, les difficultés, les ressources et les possibles. Dans cette aventure, il y avait bien une trame générale, mais le dessin final s’est élaboré au fil des rencontres, des gens, des opportunités, deux ou trois jours à l’avance. Ainsi j’ai découvert qu’à Günzburg commençait la Via Julia, voie romaine au nom féminin qui permettait aux légions de relier le Danube à la Mer Adriatique, en passant par Augsbourg et Salzbourg. Moi qui craignais de devoir rouler dans la forêt entre les camions et les loups, je n’avais qu’à suivre les panneaux en pensant à mes années de latin.
Augsbourg, patrie des Mozart
Colonie romaine fondée sous Auguste vers 15 av. J.-C., Augusta Vindelicorum a connu un développe- ment économique important porté par la famille Fugger dont le nom est visible partout. Mais des désastres aussi : pauvreté, peste, ascension et chute de l’industrie textile, destruction massive en 1944. Augsbourg est à l’origine de la Pax Augustana, compromis fondé sur le principe « cujus regio, ejus religio » (« tel prince, telle religion »), après 30 ans de guerres. C’est sous cet emblème de la paix qu’Augsbourg veut exister aujourd’hui.
Une visite s’impose au Palais Schaezler qui a vu danser Marie-Antoinette en 1766 – année du retour de Mozart – dans la salle de bal rococo. Pour moi, la véritable découverte, c’est la Fuggerei : un écoquartier social et durable avant l’heure, créé par le riche banquier Jakob Fugger en 1521. Un alignement de maisons contiguës permettait aux petites gens de se loger dignement, à la condition d’être catholique et de réciter trois prières par jour. Le grand-père de Léopold Mozart, maçon de son état, y a vécu.
Créé en 2020 juste avant le lockdown, la Léopold-Mozart-Haus est installée dans la demeure natale du père de Mozart. Ute Legner, musicienne et enseignante à l’Université d’Augsbourg, m’a présenté l’exposition vivante et interactive qui présente la personnalité de celui sans qui Mozart n’aurait certainement pas été Mozart !
Maître de chapelle, violoniste, pédagogue, mais aussi compositeur et manager de talent, Léopold Mozart est le premier de sa lignée à quitter le rang d’ouvrier. Formé à l’école des Jésuites St-Salvator, il porte en lui, outre la religion qui sera sa force, humanisme, philosophie, intérêt pour les sciences naturelles, pour le théâtre aussi et le goût de la représentation. Convaincu d’avoir reçu de Dieu un enfant prodige, il a organisé les voyages et cette incroyable tour- née européenne pour révéler ce mi- racle au public et pour donner à ses enfants, Nannerl et Wolfgang, non seulement une éducation musicale poussée, mais aussi cette « éducation de la mobilité », si précieuse pour leur développement musical. Portant un regard acéré sur la société, Léopold tient dans ses innombrables lettres des propos radicaux, ne manque pas d’humour et, en homme de réseau, il saura maîtriser les codes et les habits pour pénétrer dans toutes les cours de l‘Europe. Réduit à la figure d’un père sévère, Léopold est resté dans l’ombre du génie, dont on imagine qu’il devait être difficile à élever et parfois bien incompréhensible, d’où les conflits entre le père et le fils.
Il y a derrière le brillant génie de Mozart des valeurs d’un père, une éducation, une foi et un vrai sens de la débrouillardise, propre aux musiciens de tous les temps.
C’est aussi ce qui rend les voyages si précieux. Celui qui n’a pas fait ces voyages ne peut pas s’imaginer tout ce qu’ils nécessitent. Il faut avoir les mains constamment dans le porte-monnaie, et toujours bien rassembler ses sous, et avoir sans cesse devant les yeux un plan pour de nombreux mois ; mais un plan que l’on peut aussi changer aussitôt que les circonstances changent.
Léopold Mozart à Lorenz Hagenauer à Salzbourg, lettre du 22 février 1764
Curiosité, disponibilité, sens de l’organisation, ouverture au monde, goût de l’effort aussi, ce qu’il écrit du voyage, j’aurais voulu le signer.
