Günzburg – Augsburg, patrie des Mozart
C’est aussi ce qui rend les voyages si précieux. Celui qui n’a pas fait ces voyages ne peut pas s’imaginer tout ce qu’ils nécessitent. Il faut avoir les mains constamment dans le porte-monnaie, et toujours bien rassembler ses sous, et avoir sans cesse devant les yeux un plan pour de nombreux mois ; mais un plan que l’on peut aussi changer aussitôt que les circonstances changent.
Leopold Mozart à Lorenz Hagenauer à Salzburg, Lettre du 22 février 1764
Il est temps de quitter le Danube, pour virer de bord, en avant toutes, cap à l’est !
Mais le ciel encore chargé m’incite à suivre le fleuve une étape de plus. Bonne intuition, comme souvent ! Car à Günzburg commence la Via Julia, voie romaine au nom féminin qui permettait aux légions de relier le Danube à la Mer Adriatique, en passant par Augsburg et Salzburg. Moi qui craignais de devoir rouler dans la forêt entre les camions et les loups, je n’aurai qu’à suivre les panneaux en pensant à mes années de latin.
Au nord de Ulm, les rives du Danube sont très bien aménagées et le tracé parfait car le Donauradweg est très couru.
Organiser un voyage comme le mien ressemble beaucoup à l’organisation d’un projet artistique ou d’un concert. J’ai le sentiment d’utiliser cette intelligence émotionnelle assez typique des musiciens : écouter et percevoir, mais aussi gérer le temps, gérer le projet, en anticipant le programme, les difficultés, les ressources et les possibles. Dans cette aventure, il y a bien une trame générale – d’ailleurs correctement estimée – mais le dessin final s’élabore au fil des rencontres, des gens, des opportunités, deux ou trois jours à l’avance, impossible de faire autrement.
Oser la rencontre comme avec ce vieux monsieur qui m’explique parfaitement le chemin à prendre, cette femme en promenade qui me recommande d’être prudente et qui me raconte qu’elle va s’acheter un vélo, « normal » comme le mien, ou cet habitant de Günzburg qui commente le plan de la ville en me disant qu’il a lui aussi été jusqu’à Vienne à vélo.
Retour à la solitude, je reprends cette habitude, nouvelle pour moi, de sortir mon clavier pour écrire sur la terrasse d’un café à Günzburg, vide à mon arrivée et maintenant pleine de gens qui mangent des gâteaux. J’entends l’allemand résonner de tous côtés et je comprends. Manquent parfois des termes de vocabulaire spécifique, mais il suffit de demander qu’on m’explique et tout s’arrange. Les gens sont contents qu’on parle leur langue, même imparfaitement.
J’expérimente aussi la figure du voyageur, celui qu’on accueille, qu’on conseille, qu’on invite pour une nuit ou deux et à qui on se raconte. Le voyageur qui devient miroir de sa propre vie.
Et puisque cette étape semble faire honneur aux femmes, il fallait entrer dans la Frauenkirche de Günzburg, qui cache sous une façade austère un intérieur somptueusement rococo. Le jubé fermé permettait aux soeurs franciscaines de suivre la messe. Et le gymnase voisin porte le nom d’une religieuse, pionnière et voyageuse, Mary Ward (1585 – 1645) qui a couru l’Europe au temps des guerres pour convaincre le Pape d’ouvrir des écoles pour les jeunes filles.
Ce lundi 3 octobre, Jour de l’Unité allemande, était férié et suivant la Via Julia, j’ai traversé des villes et des villages endormis dans le brouillard matinal.
Ciel changeant, clochers, paysage toujours renouvelé, un lac et cette route qui est ma ligne.
Choc culturel quand se croisent les différents types de mobilité.
Et parce qu’elles sont mes repères, j’entre dans les églises et j’y prends une pause. Après les intérieurs rococo, les boiseries semblent bien humaines, presque enfantines. On fête les récoltes. L’église d’Aystetten rappelle, à sa manière, le Münster de Ulm, dans un baroque d’aujourd’hui.
J’entre dans Augsburg par les quartiers populaires de Kriegshaber et j’aperçois déjà quelques façades du XVIIIe ; même un facteur de petits violons, peut-être un descendant du luthier de Mozart.
Mais c’est la place du Rathaus qui donne vraiment la mesure de cette ville au passé impressionnant. Colonie romaine fondée sous Auguste vers 15 av. J.-C., Augusta Vindelicorum a connu un développement économique important portée par la famille Fugger dont le nom est visible partout. Mais des désastres aussi, pauvreté, peste, ascension et chute de l’industrie textile, destruction massive en 1944. Ausburg est à l’origine de la Pax Augustana, compromis fondé sur le principe « cujus regio, ejus religio » (« tel prince, telle religion »), après 30 ans de guerres. C’est sous cet emblème de la paix qu’Augsburg veut exister aujourd’hui et intégrer toute sa population.
A l’image de la Grande Salle dorée reconstruite en 1996, tous les bâtiments sont restaurés à l’ancienne, mais ils m’ont laissé une impression mitigée, entre hauteur et froideur.
Garder la mémoire des façades mais qu’en est-il de l’intérieur, de la vie ? Musées vides, galeries peu dynamiques, tel le Palais Schaezler qui a vu danser Marie-Antoinette en 1766 – année du retour de Mozart – dans sa salle de bal rococo.
Ou le Musée du Textile, aussi vide que les bâtiments qui perdurent. Qui s’intéresse encore à la manufacture des vêtements ? A quelques pas, l’immense centre commercial City Gallerie déborde de marques et d’acheteurs inconscients.
Dans cette première journée à Augsburg, c’est la tradition sociale de la Fuggerei qui m’a le plus intéressée, je l’avoue. Concept d’écoquartier social et durable avant l’heure, créé par le riche banquier Jakob Fugger en 1521, cet alignement de maisons contiguës permettaient aux petites gens de se loger dignement, à la condition d’être catholique et de réciter trois prières par jour. Le grand-père de Mozart, maçon de son état, y a vécu.
Un bref arrêt dans l’Eglise Sainte Anna, ancien cloître des Carmélites où fut logé Luther en 1518, date de la dispute avec le cardinal Cajetan, qui présente succinctement les fondements de la Réforme. Remarquable oecuménisme de ce temple protestant qui comporte aussi la chapelle funéraire du très catholique Jakob Fugger, ami de Luther. Bien avant des décennies de guerres de religion…
Mais Augsburg est une ville qui se laisse découvrir en osant descendre dans la basse ville : canaux, boutiques, et petits cafés, lieu de naissance de Brecht également.
Même un changement de vie en vue !
Enfin Mozart
J’ai trouvé ce que je cherchais à Augsburg ce matin à la Léopold Mozart Haus. Ute Legner, responsable du projet de médiation musicale Mehr Musik !, musicienne et enseignante à l’Université d’Augsburg, m’a présenté cette exposition vivante, interactive et installée avec beaucoup de goût dans la demeure natale du père de Mozart. Créé en 2020 juste avant le lockdown, cet espace présente la personnalité de celui sans qui Mozart m’aurait certainement pas été Mozart !
Maître de chapelle, violoniste, pédagogue, mais aussi compositeur et manager de talent, Léopold Mozart est le premier de sa lignée à quitter le rang d’ouvrier. Formé à l’école des Jésuites St-Salvator, il porte en lui, outre la religion qui sera sa force, humanisme, philosophie, intérêt pour les sciences naturelles, pour le théâtre aussi et le goût de la représentation.
Convaincu d’avoir reçu de Dieu un enfant prodige, il a organisé les voyages et cette incroyable tournée européenne pour révéler ce miracle au public et pour donner à ses enfants, Nannerl et Wolfgang, non seulement une éducation musicale poussée, mais aussi cette « éducation de la mobilité », si précieuse pour leur développement musical.
Portant un regard acéré sur la société, Léopold tient dans ses innombrables lettres – le blog de l’époque, pourrait-on dire – des propos radicaux, ne manque pas d’humour et, en homme de réseau, il saura maîtriser les codes et les habits pour pénétrer dans les cours de toute l‘Europe.
Réduit à la figure d’un homme et d’un père sévère, Léopold est resté dans l’ombre du génie, dont on imagine qu’il devait être difficile à élever et parfois bien incompréhensible, d’où les conflits entre le père et le fils.
Curiosité, disponibilité, sens de l’organisation, ouverture au monde, goût de l’effort aussi, ce qu’il écrit du voyage, j’aurais voulu le signer.
Cette visite et la discussion avec Ute Legner m’ont permis de vérifier ce que j’avais expliqué dans les classes que j’ai rencontrées durant mon voyage : il y a derrière le brillant génie de Mozart des valeurs d’un père, une éducation, une foi et un vrai sens de la débrouillardise, propre aux musiciens de tous les temps.
Quel plaisir de te lire, Isabelle !
Ton récit est passionnant. Merci de partager cette belle aventure.
Bonne suite de voyage…
Amitiés
Martine
Liebe Isabelle
Gerade sehe ich, dass Deine wunderbare Reise gut verläuft; ich freue mich mit Dir und wünsche Dir weiterhin alles Schöne und Gute! Vorerst einen erholsamen und frohen Sonntag!
Liebe Grüsse
Christina
Et on apprend plein de trucs à te lire, sur l’histoire, la musique, le voyage et l’éveil au monde… Merci.