L’art de tirer le fil des rencontres

Heureux hasard, cette semaine : l’artiste performeuse fribourgeoise, Marinka Limat, était à Vienne pour présenter son film « Art of the Encounter« , l’art de la rencontre. Et son « pèlerinage artistique » à pied de Kassel à Athènes en 2017, quoique plus long et inscrit dans une démarche totalement artistique, résonnait bien avec mon aventure à vélo, à plus large échelle, évidemment : 3000 km en Allemagne, Tchéquie, Autriche, Hongrie, Serbie, Kosovo, Serbie, Macédoine et Grèce dans le but de réunir une chaîne de rencontres toutes si différentes, brèves, appuyées, référencées ou hasardeuse, au fil de l’art. La MDW, Université de musique et des arts du spectacle de Vienne, a offert un cadre très sympa, décalé et plein humour à cette soirée.

D’où le titre de cette chronique, puisque ces dernières semaines m’ont donné l’occasion de rencontrer des personnes et des lieux qui semblaient reliés les uns aux autres par le fil de liens invisibles. Ainsi de Marinka Limat à Sabine Bechtold, artiste céramiste, suisse elle aussi, rencontrée à la Wiener Singakademie, vers Arik Brauer, personnalité bien connue en Autriche, décédé en 2021, et le Musée Juif autour duquel j’ai tourné en terminant la lecture de Zweig.

D’Arik Brauer (1929-2021), artiste, peintre, chanteur et écrivain, outre que Sabine le connaissait par la céramique, il faut dire quelques mots. En balade à vélo par un dimanche glacial de décembre, j’étais tombée en admiration devant une maison magnifique dont la propriétaire n’était autre que sa veuve. Et, dans cette maison-musée, tout l’univers poétique, grave et doux de l’artiste, cofondateur de l’École viennoise de réalisme fantastique, avec Ernst Fuchs dont je parlerai plus loin.

Visite touchante autour des œuvres de cet homme qui a connu la peur durant la guerre, caché, et dont le père est mort en déportation. Pensée écologique avant l’heure, dans ces peintures où décomposition et mort sont représentées par des couleurs de lumière et de feu, énergie en devenir.

Papageno, chanteurs et personnages de fantaisie animent ce jardin des merveilles, habité aussi de Mémoire et de Paix, avec la Colonne des Droits de l’homme et le prototype du Mémorial « Niemals vergessen » pour les victimes des deux camps extérieurs du camp de concentration de Mauthausen.

Le Musée Juif de Vienne occupe deux sites : l’exposition de la Judenplatz, située sur l’ancienne synagogue, revient sur le passé de la communauté quasi effacée de Vienne durant la Shoah. Catafalque de marbre blanc, le mémorial représente une bibliothèque sans nom, celle de 65’000 vies interrompues.

Le Musée Juif de la Dorothegasse est tourné davantage vers le présent et se veut un lien entre juifs et non-juifs.

Les liens musicaux m’ont emmenée au Musée d’histoire naturelle où travaille Meggy, ma collègue alto. Collection démesurée, réunie sous l’Empire, dans un bâtiment tout aussi gigantesque, frère du Kunsthistorisches Museum.

Dans ma découverte des richesses muséales de Vienne, la collections des instruments anciens (Sammlung alter Musikinstrumente) occupe une place particulière, puisque c’est Alphons Huber, restaurateur, qui m’en a fait la visite. Moment trésor quand résonne le clavicorde dans ce musée désert, lieu éteint que vient illuminer la musique de sa tendre clarté, avec une fragilité qui la rend si humaine, comme les questions, nombreuses, qui tissent le réseau de la discussion.

Retrouver Alphons dans cette collection si riche, sans doute pas assez mise en lumière, interroge le rapport au le temps qui fait écho avec ma lecture du Monde d’hier de Stefan Zweig. Honnêteté rare, sincérité, authenticité dans le récit de l’un et de l’autre sur cette Autriche alors si puissante, sûre de son bon droit sur les peuples, vaste, large, puis, dès 1918, amaigrie, presque rabougrie, perdue entre mémoire et avenir, qui ne sait que faire de ces/ses richesses. Pourtant les musées, pour la plupart, cherchent à mettre en valeur ce passé, tout en questionnant le présent.

Ainsi le Volkskundemuseum Wien (Musée autrichien des arts et traditions populaires) qui insère dans l’exposition les objets et les visages de la migration.

Autre visite guidée dans le cadre de la MDW : le Staatsoper, détruit aux trois-quarts durant la guerre, nous ouvre ses portes. Escalier théâtral, salons luxueux, loges à l’italienne, espaces gourmets, verrière, tapisseries, tout est destiné au plaisir des yeux, même si Mahler, qui en fut le directeur de 1897 à 1907, décidera – innovation violemment critiquée – de baisser les lumières dans la salle pendant la représentation pour concentrer l’écouter. J’occuperai la place centrale du Kaiser lors de la visite, mais j’avoue mon intérêt pour le travail des coulisses.

Tension entre conservation et création : garder le répertoire tout en le renouvelant. L’enjeu est immense, à la mesure du bâtiment.

Derrière le luxe et la brillance de ce lieu emblématique de la culture viennoise, la question habite aussi les acteurs de l’opéra. Non pas ceux que l’on voit sur scène, costumés, au sommet de leur art, musicien-nes, chanteurs et chanteuses, mais les responsables des visites guidées, de la médiation, les personnes qui font le lien avec la population hors du cercle des habitués et des agences de tourisme. Car l’opéra appartient à tous, il doit être accessible à tous. Sans vendre son âme.

Plus facile d’accès, me semble-t-il, le Volksoper est le lieu des opérettes et des singspiels[1]. Jolie version que cette Flûte enchantée avec son bestiaire d’animaux magiques.

Enfin, Nina Schreiber m’a fait découvrir la Villa Otto Wagner : je ne parlerai pas d’enchantement, plutôt de fascination[2] pour cette résidence d’été construite entre 1886 et 1888 à la lisière du Wiener Wald, dans laquelle l’architecte habita avec sa famille. Magnifique verrière d’origine.

Aryanisée en 1938 et utilisée comme bureau pour les Jeunesse hitlériennes, elle fut rachetée en 1972 par le peintre Ernst Fuchs qui la rénova, l’adapta et y installa son atelier. Les grands formats s’exposent entre érotisme et mysticisme, dans un décors surchargé, kitch, presque vulgaire. Bains romains, fontaine byzantine et statues proéminentes.

Besoin de sortir de la ville, d’aller prendre l’air. Plus doux était le paysage de Brunn am Gebirg

et la forêt de Tulln am Donau, où je suis revenue pour rencontrer ma collègue Ulli.


[1] Genre proche de l’opéra-comique français avec musique et texte parlé.

[2] Du latin : fascinum, “charme, maléfice”, avec connotation de sortilège et de magie.

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