Ouvrir des portes
Souvent, en expliquant mon métier de maîtresse de musique et de français au gymnase, je dis qu’il consiste à ouvrir des portes.
Peu de mes élèves seront musiciens[1] ou critiques littéraires, mais ils sauront tirer des liens entre les genres, entre les époques, entre les arts, ils auront goûté au plaisir de travailler en solo ou ensemble, de créer un projet et de le défendre, ils auront relevé des défis et sauront de quoi ils sont capables. Ils sauront aussi où sont leurs limites. Ils auront pris conscience que l’esprit n’est rien sans le corps – et inversement – et qu’il est difficile de garder avec soi ce qui n’a pas de sens.
A mon tour d’ouvrir des portes.
D’abord, très concrètement, quand j’ai laissé la clé derrière la porte de mon appartement qui, une fois fermée, ne peut plus être ouverte et vécu l’arnaque habituelle du serrurier du dimanche. Bien loin, la belle assurance et la légèreté gagnée à la force du mollet ! Il fallait aller marcher autour du Belvédère et voir ses lumières pour retrouver un peu de sérénité.
Et comme j’habite dans le quartier d’y retourne régulièrement, pour admirer les tableaux de Klimt et de tant d’autres, traverser le jardin botanique et, comme dans les coulisses, voir les préparatifs du grand théâtre des marchés de Noël.
Arrivée à Vienne depuis deux semaines, j’ai aussi entrouverte la porte de cette langue que je pratique à ma façon depuis quelques semaines. En situation d’élève dans une classe avec une majorité de jeunes qui viennent compléter leur formation, je retrouve mes réflexes de bonne élève, mais je dois aussi admettre la fatigue d’un cerveau devenu moins plastique.
Pousser la porte du musée Léopold et partager la visite avec Florence, ma nouvelle collègue. Dans cette après-midi automnale, Vienne s’est découverte dans toute sa splendeur dans cette exposition consacrée au tournant des années 1900. Presque tous les Egon Schiele, de magnifiques Klimt et une multitude d’objets dans ce musée immense.
Tant de richesses dans cette ville, tant à voir, tant à entendre et des milliers de lieux à découvrir. L’offre classique est omniprésente, mais j’étais à la recherche d’autre chose en entrant au Semperdépôt. Espace industriel investi par une équipe technique et des danseurs conduits à leurs limites par les Blackboxed voices de Martina Claussen dans une mise en lumière de Conny Zenk, artiste invitée à la MDW, Universität für Musik und darstellende Kunst où je suis des cours. Ambiance festive et colorée pour le concert suivant, au Theater Akzent qui accueillait le Styrian Klezmore Orchestra. Trente jeunes musiciens de Graz qui partagent la joie et la mélancolie du répertoire des Balkans et de l’Est.
Le bonheur aussi de pousser la porte du Konzerthaus ce mardi à 18h30. Comme avant le spectacle, chacun a enfilé son costume, les accessoires sont disposés, le portier accueille un vieux monsieur en smoking, visiblement habitué du restaurant, les hôtesses d’accueil s’activent et le barman empile les verres. Ce soir, le Wiener Symphoniker jouera le Concerto pour piano de Mozart (K. 467, un bijou à 14’30 ») et la Symphonie n° 5 de Mahler. Très impressionnant de revoir ce lieu et grimper les étages pour rejoindre la salle Schönberg où répète la Wiener Singakademie, la WSA.
Loin de l’atmosphère un peu guindée des couloirs, l’accueil est chaleureux, chacun se présente, de jeunes chanteuses ukrainiennes sont aussi invitées à rejoindre les rangs, tout le monde se réjouit de découvrir le programme de ce Christmas in Vienna et le chef Heinz Ferlesch fin, précis, mène la répétition avec un calme complice et souriant.
Dans quelques semaines, j’entrerai moi aussi sur la scène.
[1] Comme Emilie-Zoé ou Maud Paquis, belles personnalités musicales à découvrir.