Salzburg, pour toujours. So what ?
Ecrin baroque logé au creux des montagnes, Salzburg séduira toujours.
Même si, au premier abord, les touristes sont trop nombreux, le nom de Mozart surexploité et les attractions un peu surannées.
Pourtant, cet ensemble si harmonieux de clochers turquoises et blancs touche le visiteur, de loin comme de près. Avec son coeur totalement piéton, la ville offre des promenades très agréables pour flâner entre les fontaines, les grandes demeures, les parcs, les jardins et les places majestueuses, à observer le fronton des églises magnifiques et s’arrêter dans les cafés. De plus, s’y déplacer à vélo est un vrai plaisir car les berges du Salzlach sont totalement réservées aux cyclistes et, pour moi qui logeais dans les quartiers résidentiels, il me suffisait d’une douzaine de minutes pour atteindre le centre, passer d’une rive à l’autre et même rentrer au milieu de la nuit.
Impossible et inutile de présenter ici tous les sites et les activités si bien mises en valeur, et ce depuis la Renaissance, au temps des princes-archévêques qui exposaient leur pouvoir et leur magnificence en construisant palais et églises. Site idyllique, Salzburg est un mythe qui a inspiré les peintres, entre paysages alpins et vues de la ville ; les musiciens viennent du monde entier pour s’y former et créer leur réseau, les touristes admirent la ville sous tous ses angles. Et moi, j’y cherchais ce qui fait le pouvoir de la musique aujourd’hui. Celle de Mozart, bien sûr, mais celle qui résonne en nous et nous fait vivre. Avec la question qui traversait justement l’exposition Spot on Mozart, projet interdisciplinaire et inter-universitaire organisé par l’Université Mozarteum. Que voir aujourd’hui dans la musique de Mozart ?
Mais commençons par le début, avec une visite à la maison où Mozart est né, la Mozarts Geburtshaus, et au Mozart Wohnhaus, celle où il a vécu depuis ses 15 ans, musée très vivant qui nous donne à voir les valeurs et le quotidien de la famille de Mozart, soulignant évidemment le rôle de Léopold, celui des voyages, de la correspondance, les instruments aussi sur lesquels Mozart a étudié et cette personnalité à la fois touchante et insaisissable du génie précoce devenu un mythe et dont on vend l’image. Son goût pour les chiffres aussi, et pour les propos un peu scabreux. Rendant aussi hommage à sa soeur, Nannerl, elle aussi compositrice, qui a cessé sa carrière une fois mariée, pour devenir exclusivement professeur de piano.
Sur la question des femmes, le lien est facile ici. Quelle place ont-elles dans la musique ? Ou plutôt quelle place leur a-t-on laissé dans la musique ? L’Orchestre symphonique féminin d’Autriche (FSOA) proposait un programme exclusivement féminin, dans une version d’ensemble à cordes, avec des oeuvres de Johanna Senfter, élève de Max Reger à Leipzig, qui a vécu une vie solitaire, composé 9 symphonies et une vingtaine d’œuvres orchestrales, destinées principalement aux cordes. Ce Concerto pour 2 violons, teinté de couleurs proches d’Hindemith, était plutôt convaincant. Découverte pour moi ensuite d’une compositrice allemande contemporaine très reconnue, Johanna Doderer, qui offrait un paysage musical intense avec ce Fuschlsee. Enfin, une création un peu moins maîtrisée aux accents néo-romantiques de Mathilde Kralik von Merswalden.
La musique imprègne la ville de Salzburg, le Mozarteum est au coeur de la ville, un peu plus loin l’Institut Orff de pédagogie musicale, l’on croise partout des musiciens, instrument sur le dos, peut-être pour aller jouer des concerts touristiques dans les salles dorées du Château Mirabell. Il faut bien nourrir son homme…
Le DomQuartier regroupe la Cathédrale, le trésor de St-Pierre, monastère bénédictin, et la Résidence, palais d’apparat des puissants princes-archévêques, révélant les richesses de Salzburg, jusqu’à la destitution de Colloredo, dernier en titre, et le rattachement de la ville à l’empire des Habsourg, après les guerres napoléoniennes.
Construit par l’architecte italien Santino Solari, le Dom devait initialement dépasser St-Pierre de Rome. Consacré en 1628, partiellement détruit en 1944, c’est aujourd’hui le monument plus visité de Salzburg et l’intérieur est vraiment impressionnant. Et pour goûter pleinement à la beauté des lieux, j’ai assisté à la messe à la Cathédrale ce dimanche : les musiciens y chantaient une messe de Haydn depuis l’un des quatre orgues, en face de celui où Mozart jouait lui-même. Et nous y sommes même retournés le soir avec Etienne pour écouter la Harmoniemesse de Haydn.
Le Musée de la Ville rend hommage à ceux qui ont fait de cette ville un centre musical, en présentant une belle collection d’instruments anciens, en montrant aussi le pouvoir des princes archévêques – en le questionnant -, et l’on comprend d’autant mieux la difficulté que cela représentait de s’en libérer – sujet de conflit entre le père et le fils Mozart -, avec également des échos du Festspiel, festival qui attire stars et mélomanes du monde entier.
En ce mois d’octobre, le monde, justement, était invité à Jazz & the City. Et c’est un Salzburg moins classique qui s’offre à moi ! Moment d’émotion pure avec « Sound of Wounding » de la chanteuse ukrainienne Mariana Sadovska, entourée de l’incroyable percussionniste Max Andrzejewski et d’un quatuor à cordes. Plus dansant et festif, le groove de Léon Phal, saxophoniste franco-suisse formé à la Haute Ecole de Musique de Lausanne (et dont le 1er album s’intitule Canto Bello) ou le Matti Klein Soul Trio.
Sûr que Mozart aurait apprécié de voir sa ville danser dans la nuit, pendant que d’autres lisent en mangeant des Mozartkugeln !
Dernière exposition en ce dimanche ensoleillé, après une ascension sur le Mönschberg, au Musée d’Art contemporain qui présentait les vidéos puissantes de Bill Viola (1951), artiste américain, porteur d’un humanisme postmoderne qui interroge des rituels, le rapport à la nature, la spiritualité et notre humanité.
Et finir sur un dernier tour de ville au soleil et discuter longtemps au Café 220° avec une artiste prof d’arts visuels.
A la question Salzburg, So what ?[1] que je me suis posée à mon arrivée, un peu désabusée devant un cappuccino au club Die Szene, il y a beaucoup de bleu dans mes images, bleu du blues, bleu du jazz. Du rouge certainement, marque de l’autorité et du pouvoir des princes-archévêques. Or et argent de la richesse des églises et des palais, et un souffle de culture qui imprègne les esprits.
Et j’ai adoré sillonner la ville et y trouver mon chemin, on the Mozartway.
[1] En référence au titre So What, tiré de l’album Kind of blue de Miles Davis, sorti en 1959.