En équilibre autour du lac de Zürich
L’Itinéraire suisse de Mozart ne tourne évidemment pas autour du Lac de Zürich, mais la musique invite à la rencontre et Mozart est un prétexte aisé et plaisant.
Si la référence à Nicolas Bouvier, notre écrivain voyageur, s’impose, j’ai, pour cette étape, envie de reprendre le titre de ses carnets japonais : Le vide et le plein. Densité et espace, concentration et méditation, grandiose et intime, présence et absence, mais aussi ville et campagne, foule et solitude, Bruckner et Hosokawa.
Mardi, journée intense et diversifiée au gymnase de Wattwil dans lequel enseignent Andreas Egli et ses collègues Simon Winiger et David Müller. Le gymnase, construit dans cette région de campagne dans les années 60, s’organise sur deux sites à bonne distance et séparés par un pont. Danse baroque, Coldplay en atelier, travail sur les voix de garçons, lectures de rythmes et Schubert au piano. Le métier est varié et exigeant, on le sait, mais les élèves preneurs.
A Wattwil, comme dans la plupart des régions de Suisse, la pratique d’un instrument passe par le gymnase, ce qui est le seul moyen de garantir une formation équitable, notamment pour les futurs enseignants généralistes. Et puisque l’élève pratique la musique de son côté, cela donne au cours de musique en collectif l’espace et le temps pour approfondir les aspects étudiés et donner à la branche le crédit qu’on lui doit. Présentation du voyage de Mozart en Suisse dans un allemand encore fragile, mais en amélioration, discussion avec le recteur.
Joli trajet de retour en train depuis les collines du Toggenburg pour retrouver le Zurichsee à Rapperswil, puis le quartier paisible et verdoyant de la famille Egli. Belle harmonie de cette famille réunie autour d’Andreas et Catherine qui m’accueillent avec simplicité et naturel. Après le souper de 17h30, tôt pour les Romands, j’ai repris le rôle oublié de la baby-sitter et suis allée promener avec les enfants, tandis que mon collègue poursuivait sa journée avec un cours de piano. Petit paradis sur terre que cette vue depuis le balcon, lieu de rencontre sur le chemin de… Goethe qui voyagea en 1797 dans la région de Stäfa.
Je savais qu’il y aurait de la route et de la pluie ce mercredi ! Même deux jolies montées pour rejoindre Kappel am Albis. Mais il fallait faire cet arrêt à Rapperswil pour grimper au château et tomber sur la devise polonaise.
Et je suis arrivée au monastère avec les premières gouttes, comme une bénédiction pour entrer dans la sérénité du lieu.
La soirée fut incroyable ! Invitée par Hans Martin Ulbrich, hautboïste durant 40 ans à l’Orchestre de la Tonhalle, j’ai sorti une robe de ma sacoche pour assister au concert d’ouverture de la saison. Je crois avoir créé la nouvelle mode : le chic des chaussures de vélo ! Quelle fête, la Tonhalle remplie comme avant Covid !
Concert magistral. Une création du japonais Toshio Hosokawa, Ceremony, a vu le flûtiste Emmanuel Pahud devenir chaman pour célébrer l’univers puis, métamorphosé en oiseau, prendre son envol. Le public a été subjugué par l’intensité du jeu et par la puissance des effets orchestraux magnifiés par l’acoustique parfaite de la Tonhalle entièrement rénovée en 2019. La 8ème Symphonie de Bruckner convient totalement au lieu et aux musiciens. 80 minutes d’un discours musical puissant, parfois répété, dense mais très lisible dans l’interprétation du chef Parvo Järvi. Pas une minute d’ennui.
Et dans cette foule immense et ravie, il y avait, juste devant moi, Louis, mon élève de Beaulieu, entré à Musikhochschule de Zurich, la fameuse Toni Areal visitée deux semaines plus tôt avec Laetitia ! Une grande émotion de le trouver ici.
Ce matin, quête intérieure dans une séance de tai shi : concentration extrême pour des mouvements en équilibre dans l’ouverture du souffle. Belle entente avec Brigitte Grauer : nous évoquons les préoccupations qui nous habitent et derrière des parcours différents, les même intérêts pour le lien entre corps et esprit.
Après repas partagé chez Hans Martin, initiateur du projet Meetingpoint-Mozart en 2016, j’ai repris en sens inverse la route qui m’avait amenée dans cette région de l’Albis, fuyant la pluie, douchée par les camions qui circulaient autour de Sihlbrugg et marchant sur quelques kilomètres, car mon vélo me semblait pas aller très droit sur ce trottoir sans sécurité ; peut-être était-ce la tourte au kirch…
Après tant d’invitations, d’événements, de rencontres, j’ai goûté au plaisir de la liberté et, effleurée par le vent comme l’arbre solitaire au sommet des collines, j’ai sauvé une libellule apeurée par la pluie.
Un arc-en-ciel brillait sur Richterswil.
Sans doute que j’ai compris, durant ce détour par le monastère de Kapell am Albis, un sens du symbole de yin et du yang. Il y a dans tout une forme de dualité : besoin de solitude dans la plénitude, force dans la fragilité, une part de soi dans l’autre.
Le vide et le plein, complémentaires.