Retour à Zurich, un autre cheminement
Sur mon vélo, je pense peu. Je m’imprègne de cette activité nouvelle et du paysage, et je laisse mûrir les mots.
Depuis Morat où j’ai travaillé deux jours durant sur la révision de la Maturité, le retour au voyage s’est fait sous un même soleil que celui que j’avais trouvé durant les premières semaines. Et, dans ce train qui me ramenait à Zurich, la voix des annonces a déclenché les images et l’écriture. Sur la ligne Fribourg-Bern surgissaient soudain les nom des lieux que j’avais traversés : Burgdorf, Langenthal, Herzogenbuchsee. Olten, Aarau, et même Jendesdorf. Ces noms, madeleines de Proust auditives, ont ramené en moi des souvenirs et des impressions de ce mois passé sur la route.
Clairement, dans ce voyage, j’ai fini, accompli ou bouclé, ou… – aucun de ces verbes ne convient complètement, mais c’est bien ce qui est – une première étape, et c’est autre chose à partir de maintenant. Suivre le fil de la Route Mozart me tirait en avant. Peut-être le sens du devoir, ce mandat à accomplir, moi qui suis du type bonne élève, cherchant toujours à bien faire ce qu’on attend de moi, j’ai tout organisé, tout contrôlé, tout vérifié. Bonne prof-maman-grande organisatrice : les hébergements, les tracés, les personnes à contacter, les musées, les expos. Même la météo.
Depuis dimanche, je vais de personnes en personne, et non plus de stèle en stèle. C’est plus vivant, évidemment, mais aussi plus prenant. Et je ne suis plus tout à fait maîtresse de la route, ni du temps.
A Zurich, c’est Félix qui s’est proposé d’être mon guide. Tout a commencé par une balade commentée à vélo et c’est la voix de l’architecte qui parlait : la gare ouverte sur la ville, les boulevards de la Europaaallee à la Bahnhofstrasse, les anciens quartiers ouvriers, Linderhof, le Bain des dames, le marché à nouveau présent sur le pont du Rathaus, le quai de la Limmat et ses crues.
Puis nous avons slalomé entre les promeneurs de ce dimanche festif et ensoleillé pour rejoindre le Pavillon Le Corbusier. Et nous sommes entrés dans un espace nouveau, conçu pour l’homme nouveau
Nous avons ensuite pris le train jusqu’à Forch et Félix m’a fait découvrir le Pfannenstiel, haut plateau ceint par la forêt entre le Greifensee et le Lac de Zurich, une région naturelle bien connue des familles, et des chasseurs. Nous sommes alors arrivés par les hauteurs sur Meilen où il m’a reçue avec beaucoup d’égards.
En plus d’être férié, lundi était une journée magnifique qui appelait à la découverte à vélo.
Une journée qui a pris des allures de vacances, avec la traversée du lac en bac, puis le trajet en train jusqu’à Einsideln où nous avons été accueillis par les cloches. Impressionnante, à l’image de la puissance de l’Eglise durant des siècles, haut lieu de pèlerinage sur la Via Jacobi, l’Abbaye est d’une magnificence baroque qui sied au rituel qu’elle abrite. Une messe y avait lieu, les chants grégoriens ont envahi l’espace, l’orgue a joué ses notes graves et colorées et la musique a résonné dans nos coeurs, ouvrant à une discussion spirituelle dans le jardin paisible, au milieu de ces vertes campagnes. Nous étions comme aspirés par la force du lieu.
Puis les jambes nous ont démangé et c’est vers les collines de Etzel que nous nous sommes dirigés en longeant le lac de Sihl et les jardins rayonnants.
Jolie montée pour arrivée à la Chapelle St Meinard. Le temps de manger au soleil, nous avons plongé sur la digue de Rapperswil, au-delà de l’île de Ufenau.
Le retour s’est fait par la route de campagne au milieu des vignes et des maisons villageoises, sur ce balcon qui offrait une vue merveilleuse sur la rive d’en face, mais aussi sur la Goldküste qui est bien plus qu’une région dorée par l’opulence. Vignes, lumière sur le lac, vert et bleu intenses, ouverture sur un ciel strié, en abordant tant de sujets de nos vies. Et m’est apparu alors que ce cheminement induit par le voyage, l’espace habité, l’espace mental, et aussi spirituel recouraient au même vocabulaire et se retrouvaient dans une symbolique féconde. Quand il est question de disposition, de matière, d’organisation de l’espace, de cheminement personnel, de rituel, d’élévation, de lumière, le vocabulaire de l’architecture offre une lecture du monde intéressante. De Le Corbusier à Einsideln, en passant par les plateaux champêtres et le miroir du lac de Zurich, ces journées ont permis d’éclairer mon voyage d’une lumière nouvelle et d’y voir une dimension plus profonde et universelle.
J’ai ensuite filé sur Uerikon où m’attendait la famille de mon collègue Andreas. Une maison pleine de sourires enfantins, de pianos, de livres, de joies parentales et de partages sincères dans un jardin où le renard passe sans gêne.
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